Roumanie : le come-back du parti de Victor Ponta
Le Parti social-démocrate (PSD) a remporté les législatives en Roumanie, avec 46 pour cent des voix. Il y a un an à peine, le gouvernement PSD de Victor Ponta avait dû démissionner, sous le coup d'un vaste mouvement de protestation. Le Parti national-libéral (PNL) et l'USR, un nouveau parti, avaient soutenu le Premier ministre sortant Dacian Cioloș, à la tête d'un gouvernement de technocrates depuis novembre 2015. En Roumanie comme à l'étranger, la presse déplore le retour du PSD au pouvoir.
Des politiques élus malgré leur corruption
Le résultat des urnes montre que la lutte anticorruption est loin d’être gagnée en Roumanie, explique Der Standard :
«Le PSD a fait campagne avec un chef de file déjà condamné pour fraude fiscale – mais qui a tout de même été élu. Le pays conçoit certes une certaine déception de ce que les nombreuses enquêtes pour corruption aient révélé des malversations dans pratiquement tous les partis. Mais le résultat peut aussi être interprété comme un appel à se démarquer des discours de l’extérieur, à montrer du doigt les critiques internes comme autant de traîtres. Le fait que l’on puisse réussir en politique en dépit de violations des règles est un phénomène global qui n'a rien de nouveau ; mais le fait que dans les pays ex-communistes, la violation des règles ait été pendant des décennies une stratégie sociale pour s’en sortir au quotidien ne facilite guère les efforts entrepris pour éradiquer le phénomène.»
L'interminable liste des péchés du PSD
Le chroniqueur Szilárd Demeter est exaspéré qu’un parti à tel point entaché par la corruption ait remporté les élections. Sur le portail d’opinion Mandiner, il écrit :
«Rappelons que les socialistes roumains sont pour ainsi dire le bébé d’Ion Iliescu [président de Roumanie de décembre 1989 à 1996 et de 2000 à 2004]. Sous la présidence d’Iliescu, le pays a été pillé sans scrupules et un réseau national de 'barons rouges', qui a banalisé la corruption, a été mis en place. De plus, des plagiaires se sont hissés au rang de chef de l’Etat. Dans ce contexte, on ne s’étonne pas de ce que Liviu Dragnea, actuel chef de file du PSD et promis au poste de Premier ministre, ait déjà été condamné pour fraude électorale.»
Espérons que l'UE veillera sur la Roumanie
Après sa surprenante victoire, le PSD a le pouvoir de contrôler la quasi-totalité de l’Etat, analyse Europa Liberă :
«A la différence de 1990 cependant, où une majorité parlementaire détenait à elle seule, comme aujourd’hui, tous les leviers du pouvoir, la Roumanie fait aujourd’hui partie de l’UE. Ce qui oblige le pays à respecter un certain nombre de normes - même si les errements du voisin hongrois font tirer d’autres conclusions. Or il existe chez nous un mécanisme de coopération et de contrôle du système judiciaire (MCV) qui permet à la Commission européenne d’évaluer le bon fonctionnement de la justice. … Toutes les institutions de l’Etat sont désormais à la disposition du PSD - de la justice aux services secrets en passant par la radio publique. Reste à savoir si le parti en disposera à sa guise et, comme à ses débuts, retombera dans ses vieux travers. Ou s’il aura la maturité de préserver un certain équilibre. Les antécédents de ce parti ne donnent pas matière à être spécialement optimiste.»
Le PSD a joué la carte nationaliste
Il ne pouvait y avoir de pire résultat électoral, se lamente-t-on sur le portail d'information Hotnews :
«L'absence de scrupules du PSD a finalement porté ses fruits. Le chef de file du parti [Liviu] Dragnea et le PSD sont parvenus à présenter presque tous leurs opposants sous un jour négatif. ... Encouragé en cela par le contexte international, le PSD a joué la carte primitive du nationalisme. Du Brexit à Trump, le discours de l'isolement fait rage. Si nous avions été épargnés, dans un premier temps, par cette vague europhobe et populiste, ce n'était qu'une question de temps avant qu'elle ne nous atteigne également, sous une autre forme. ... Le résultat de ces élections, c'est le pire scénario imaginable. La seule chose qui compte aujourd'hui, c'est d'arriver à limiter les dégâts, afin de préserver les institutions les plus importantes [telle la Direction nationale anticorruption DNA] et de garantir l'orientation pro-européenne et pro-occidentale du pays.»
Les nationaux-libéraux ont été inexistants
De l'avis de România Liberă, le Parti national-libéral (PNL) n'a pas joué son rôle d'adversaire du PSD lors de ce scrutin :
«Le PSD a obtenu le meilleur résultat électoral de son histoire. Or si l'on veut trouver un responsable à ce succès, pas besoin d'aller le chercher parmi la population rurale ou parmi la 'plèbe', qui ont voté pour les mafiosi. Ni parmi les hipsters, qui ne sont pas allés voter. Le premier responsable, c'est le PNL, qui nous prend pour des idiots depuis quatre ans : avec les sociaux-démocrates, il avait formé l'USL en 2012, une grande coalition qui s'en est pris à l'Etat de droit. Et voilà, aujourd'hui, qu'ils entendaient se présenter en apôtres et défenseurs de la démocratie. Pendant des années, le PNL a soutenu le gouvernement PSD de Victor Ponta, et aujourd'hui, il a voulu se dissimuler derrière le Premier ministre Dacian Cioloș. ... Les libéraux feraient bien de ne pas trop s'irriter de 'ce peuple stupide'. On ne peut vendre aux électeurs une bouillie en la faisant passer pour du caviar et regretter ensuite qu'ils n'aient pas voulu y goûter.»
L'argent plus important que le nationalisme
Si les Roumains apprécient les discours de campagne aux accents nationalistes, ils se laissent surtout guider par des considérations financières au moment de voter, estime Adevârul :
«Le discours nationaliste semble toujours plaire davantage au peuple, même sous sa forme la plus vulgaire et la plus grossière : nous sommes gouvernés par l'étranger, par Bruxelles, par les Etats-Unis, par [l'investisseur américain d'origine hongroise] George Soros, par les Hongrois, par les francs-maçons ou par un ordre mondial occulte. ... Mais le parti qui brandit l'étendard de la 'roumanité opprimée' n'est crédité que de trois pour cent des voix de l'électorat patriotique, comme le montrent les sondages. L'une des explications à cet état de fait, c'est que les Roumains sont intelligents et qu'ils ne croient pas aux paroles en l'air. L'autre explication, c'est que les Roumains sont pragmatiques. Ils aiment s'entendre dire que les étrangers sont responsables de tous leurs malheurs, mais au final, ils préfèrent accorder leurs voix au parti qui leur promet de meilleures retraites et moins d'impôts.»
Une campagne électorale totalement superflue
Une nouvelle loi électorale régule davantage la promotion des partis. Mais cela n'a pas contribué à améliorer la qualité de la campagne, regrette la chroniqueuse Iona Ene Dogioiu dans Ziare :
«Nous vivons la dernière semaine d'une campagne que j'ai jugée particulièrement inutile. Une campagne qui n'a aucunement contribué à favoriser une décision électorale responsable, ou encore à inciter les citoyens à aller aux urnes. Une campagne sans informations réelles, sans débat véritable et sans émotions. Bref, une campagne inutile. La faute aux partis, mais aussi et surtout à une nouvelle loi défaillante. J'ignore pourquoi nous passons toujours d'un extrême à l'autre. Auparavant, chaque arbre et chaque lampadaire se parait d'affiches. Cette fois-ci, la campagne électorale s'est achevée au moment où elle a légalement débuté. L'électeur doit pouvoir prendre connaissance différemment des options électorales dont il dispose.»