Donald Trump risque-t-il une destitution ?
L'étau se referme un peu plus sur Donald Trump dans l'affaire relative à une possible implication de la Russie dans sa campagne électorale. Le ministère de la Justice a confié l'enquête à Robert Mueller, ex-directeur du FBI, considéré comme impartial. Certains commentateurs y voient un signe de la vigueur du système de contrôle des institutions. Pour d'autres, il ne serait pas souhaitable que Trump se casse les dents sur cette affaire.
Une démocratie américaine bien portante
L'enquête initiée contre la volonté de Trump par son propre gouvernement prouve que le contrôle des institutions politiques inhérent au système des Etats-Unis reste opérant, se félicite The Guardian :
«La nomination de Robert Mueller comme enquêteur spécial présente le vice-ministre de la justice Rod Rosenstein et son département sous un jour favorable. Car la Maison Blanche avait insisté sur l'inutilité de l'enquête, dans une énième nouvelle pire semaine en date pour Trump à la présidence des Etats-Unis. Cette décision prouve que les principes constitutionnels et les normes éthiques ont survécu au sein du gouvernement fédéral américain - malgré le mépris ostentatoire que Trump leur réserve. ... Le gouvernement américain n'est donc pas inéluctablement engagé sur la voie d'une procédure de destitution contre le président ou d'une démission. Mais ces deux issues sont devenues envisageables.»
Trump ne doit pas devenir martyr
Une destitution de Trump uniquement motivée par ses liens avec la Russie ne serait pas une grande avancée, souligne taz :
«Car premièrement, pour ceux qui ont voté pour lui par conviction, les évènements actuels ne sont rien d'autre que la lutte acharnée de l'establishment contre l'outsider, à laquelle il fallait s'attendre. Il se met en scène via twitter comme la victime d'une chasse aux sorcières - et c'est ainsi que le voient ses partisans. L'ingérence russe supposée dans les élections américaines n'est pour eux que les jérémiades des démocrates perdants qui soutiennent Hillary Clinton. Et ils ont largement raison, ce qui est le deuxième point. Du moins dans la mesure où Clinton n'a pas perdu les élections en novembre en raison de l'ingérence russe. … Il vaudrait mieux que les idées politiques de Donald Trump, pour autant que l'on puisse qualifier d'idées les absurdités qu'il a débitées jusqu'ici, le discréditent durablement et publiquement. Un Trump martyr est juste un peu moins inoffensif qu'un Trump président.»
De bonnes nouvelles pour Moscou
Poutine se frotte les mains face aux tentatives de destitution de Donald Trump, écrit Neue Zürcher Zeitung :
«Moscou a largement atteint son objectif : déstabiliser la démocratie américaine par ses interventions. Washington est actuellement trop obnubilé par les tumultes de sa politique intérieure pour pouvoir faire passer en force des sanctions contre les cyberattaques russes ou représenter un tout autre danger pour la Russie. La discorde qui secoue Washington se prête à merveilles à des fins de propagande. ... L'annonce de la nomination d'un enquêteur spécial est donc une bonne nouvelle pour la Russie : Il garantit en effet que l'immixtion russe dans la campagne électorale américaine n'en a pas fini d'alimenter la discorde en Amérique. Moscou n'a rien à craindre du résultat de l'enquête - contrairement au président Trump : car l'immixtion de la Russie dans la campagne électorale est un secret de polichinelle.»
Le spectre de la Russie fonctionne encore bien
Dans Izvestia, Edward Lozansky, Président de l'Université américaine à Moscou, évoque une chasse aux sorcières contre Trump :
«La visite de Lavrov à la Maison Blanche et le limogeage du directeur du FBI James Comey ont donné du grain à moudre au Congrès américain et aux médias en quête d'indices sur les relations de Trump avec la Russie, dans le cadre d'une véritable chasse aux sorcières. En Amérique, des groupes aussi nombreux que divers exploitent la Russie non pas comme amie, mais comme ennemie. C'est pourquoi ils sont restés sourds aux tentatives de réconciliation lancées avant même la dislocation de l'URSS, et par la suite, surtout au lendemain des attentats du 11 septembre. Donald Trump comprend intuitivement que la réussite d'une lutte antiterroriste commune est une condition indispensable aux relations bilatérales, à leur tour nécessaires pour ne pas exposer la vie sur notre planète au risque permanent d'une catastrophe de dimension mondiale. Nous ne pouvons donc pas fermer les yeux sur le pouvoir de ses ennemis jurés.»
La politique de l'autruche
Personne dans les rangs républicains n'a le courage de tenir tête à Trump, ce qui couvre de déshonneur le GOP, vitupère The Financial Times :
«Aucun républicain élu n'ose le contrarier. Quiconque s'oppose à lui s'expose au risque d'un lynchage sur les médias en ligne, ce qui pourrait marquer la fin abrupte de leur carrière. ... Pendant des décennies, les républicains incarnaient la sécurité nationale et la force de caractère du leadership américain. Trump déchire ces principes en mille morceaux devant leurs yeux. Ce que les libéraux peuvent bien penser n'a aucune espèce d'importance. Trump fait aussi peu de cas des indépendants, des médias et du corps diplomatique des Etats-Unis. Les seuls qui aient suffisamment de pouvoir pour demander des comptes à Trump, ce sont les républicains. Et ils détournent le regard. Sur les 290 républicains que compte le Congrès, seule une poignée a demandé la nomination d'un enquêteur spécial chargé d'examiner Trump.»
Les démocrates devraient promettre l'impeachment
Philip Carter, professeur de droit à la Georgetown University de Washington, lance dans Slate un appel aux parlementaires américains, les sommant de mettre fin aux atteintes de Trump à la Constitution :
«Il est temps que le Congrès agisse et que ses représentants fassent primer leur pays sur leur parti. Dans l'idéal, il faudrait que le président de la Chambre, Paul Ryan, et le chef de la majorité, Mitch McConnell, lancent cette procédure, en collaboration avec les cadres démocrates. La chose étant improbable, les démocrates devraient signifier leur intention de le faire s'ils reprennent le contrôle de la Chambre des représentants en 2018. Une procédure qui se doit d'être complète, juste et transparente, comme l'exige la Constitution. Si ces critères minimums ne sont pas respectés, les Etats-Unis en pâtiront et cette atteinte sera bien plus grave que tous les préjudices causés à ce jour par Donald Trump.»
Un retour de flamme ?
La polémique autour du FBI et la trahison présumée de secrets confidentiels dissimule une lutte impitoyable pour le pouvoir, assure pour sa part Avvenire :
«Ceux qui prétendent aimer la démocratie feraient mieux de s'inquiéter plutôt que d'exulter au moindre coup porté à Trump. ... Des pans du système judiciaire, des services secrets et de l'administration sont rétifs aux directives du président élu par les Américains. Si en Italie ou en France, les responsables des services secrets et de la police déclaraient que le président ne devait son élection qu'aux agissements d'une puissance hostile, nous parlerions d'un climat de sédition. Comment y voir, dès lors, aux Etats-Unis, un symptôme de vigueur politique et institutionnelle ? ... Sommes-nous certains que le jeu en vaille la chandelle ? Que le prix à payer pour chasser Trump ne sera pas, en fin de compte, trop élevée ? Que les nombreux démocrates bien intentionnés ne donneront pas in fine à la Chine, à la Russie et à l'Iran précisément ce que ceux-ci désirent, à savoir la fin du 'siècle américain' ?»
Il faudra 'détrumpiser' les Etats-Unis
Une procédure d'impeachment serait prématurée, juge Der Tagesspiegel :
«Cela ne fait pas même quatre mois que ce guignol est au pouvoir. S'il devait quitter ses fonctions aujourd'hui, sa régence n'aurait alors été qu'un bref intermède, un cauchemar qu'on s'empresserait de refouler. Les [mécanismes de contrôle] 'checks and balances' auraient été opérants, les divers domaines de la société civile auraient été à la hauteur de l'épreuve. La satisfaction générale aurait vite viré à la suffisance. Et l'on oublierait que Trump a été élu démocratiquement. On oublierait aussi le choc créé par l'état désolant du système immunitaire de beaucoup d'Américains, qui se sont laissés enjôler par son discours populiste. Personne ne réfléchirait à la nécessité d'une 'détrumpisation' de certains pans de la société.»