Jusqu'où peuvent aller les concessions aux gilets jaunes ?
Le gouvernement français a fait savoir que les concessions d'Emmanuel Macron aux gilets jaunes coûteraient de huit à dix milliards d'euros par an à l'Etat. Bien que le budget français soit susceptible de dépasser le plafond de déficit fixé par l'UE, Bruxelles se montre bienveillante. Une réaction qui courrouce certains commentateurs, jugeant qu'on laisse tout passer à la France.
L'UE et son traitement inique des Etats membres
Pierre Moscovici, commissaire européen aux affaires économiques, a jugé envisageable que le déficit de la France dépasse exceptionnellement la limite de trois pour cent du PIB pour financer les concessions aux gilets jaunes. Massimo Franco, chroniqueur à Corriere della Sera, crie à l'injustice :
«Sa déclaration a ravivé toute la méfiance d'un gouvernement [italien] ouvertement populiste à l'égard des institutions de Bruxelles. ... Moscovici se montre odieusement hypocrite : indulgent envers les mesures annoncées par Macron, prises non par un vote démocratique mais sous le coup de la contestation violente des gilets jaunes ; sévère envers une Italie qui, après plusieurs erreurs, a su prouver qu'elle était en mesure de s'imposer un simulacre d'autodiscipline financière.»
Des Français rétifs aux réformes
Au fond, la France en colère cherche uniquement à préserver le confort de son style de vie, pourtant illusoire, selon Dennik N :
«Comme d'autres Etats providence, celui de la France est voué à s'écrouler si les dépenses sociales continuent d’augmenter tandis que les cotisations diminuent. Macron l'avait compris, de même que ses prédécesseurs. Nouveau venu sur la scène politique, il avait la possibilité de redresser la barre. Mais il présentait son projet aux Français en espérant qu'ils ne liraient pas le contrat jusqu'au bout, là où se trouvent les clauses en petits caractères. Aujourd'hui, les manifestants veulent la fin des réformes, un retour à l'ordre ancien, encore plus de prestations sociales de l'Etat, de dépenses et de protection du travail. Sans se demander où cela peut bien mener sans réforme de l'économie - dans la plus pure tradition française.»
Pas de traitement de faveur pour Paris
L'Italie n'est désormais plus la seule à dépasser le plafond du déficit, commente le diplomate Stefano Stefanini dans La Stampa :
«Si la Commission européenne sévit contre Rome, elle doit en faire de même avec Paris. Mais le véritable signal d'alarme pour Bruxelles, Berlin et le front austéritaire hanséatique, c'est le fait que l'effondrement du rempart fiscal résulte de stimuli populistes : dans le palais du gouvernement en Italie, dans les rues et sur les places en France. ... L'UE ne peut en aucun cas appliquer la double morale. ... Toute décision prise pour l'Italie devient un précédent auquel on ne peut plus déroger, même vis-à-vis de la France.»
Pas comparable à l'Italie
En dépit des concessions de Macron, les finances publiques françaises se portent bien mieux que celles de l'Italie, fait remarquer pour sa part Financial Times :
«Rome peut désormais évoquer l'exemple français pour solliciter la clémence. ... Mais si Bruxelles sévit contre l'Italie, c'est parce qu'elle n'atteint pas ses objectifs de désendettement. Il ne s'agit pas du simple dépassement du plafond du déficit. La situation de la France diverge fondamentalement de celle de l'Italie. L'écart de Macron s'apparente à un acte exceptionnel. La dette de la France, qui s'élève à 97 pour cent du PIB, est plus défendable que celle de l'Italie et ses 132 pour cent. La croissance est plus forte en France. Le pays paye près de 50 points de plus que l'Allemagne pour emprunter sur dix ans, mais cela reste cinq fois moins important que pour l'Italie.»
Macron pourrait braver Berlin
Si rien n'indique pour le moment que Macron veuille aller à la confrontation avec Berlin, cette perspective n'est pas exclue, estime le blogueur David Desgouilles sur le portail Causeur :
«Cette confrontation, elle n'est pas dans le programme d'Emmanuel Macron. Elle ne l'a jamais été. Il s'agit même de l'antithèse de sa méthode. Depuis le début de son mandat, celle-ci était claire : donner des gages orthodoxes aux Allemands pour pouvoir obtenir une autre gestion de l'euro. Jamais les Allemands ne lui ont laissé le moindre espoir. … Si néanmoins c'était le cas, ce que semblait croire la presse allemande déjà très critique hier soir, et qu'il se préparait à cette confrontation, il ferait ce que ni Nicolas Sarkozy ni François Hollande n'avaient osé. Et il répondrait alors en partie au désir de souveraineté exprimé ces dernières semaines sur les ronds-points.»
Une France affaiblie ne peut réformer l'UE
Ukraïnska Pravda craint que le retrait tactique du président français ne soit dommageable à l'ensemble de l'UE :
«Son échec idéologique au niveau national affecte ses propositions au niveau européen. Et son incapacité à remplir les critères financiers de l'UE - de plus en plus probable au vu du montant des dépenses promises - et l'inévitable ralentissement du processus de réformes affaiblissent la position de la France alors que s'annonce une année cruciale pour l'avenir de l'UE. ... Macron a donc pris une décision particulièrement risquée alors que les enjeux n'avaient jamais été aussi importants. Or nous ne sommes pas que les simples spectateurs de ce pari fou. Une défaite de Macron pourrait signifier la défaite de toute l'Europe.»
Pour l'Europe, l'espoir en berne
Les concessions de Macron se font au détriment d'une conception optimiste de l'Europe, déplore également Die Presse :
«Il est impossible de réformer la France, quels que soient l'élan et la résolution de ses dirigeants. Le problème dépassant le cadre franco-français, on ne peut s'en gausser en hochant la tête. Une France solide financièrement, avec peu de chômeurs et des entreprises compétitives : cela n'était pour Macron que la base d'un projet bien plus vaste. ... Cet espoir a été déçu. ... Il faut donc aussi dire adieu prématurément à l'objectif ultime de la conception réjouissante de Macron : une Europe unie, en mesure de surmonter le divorce britannique et de brandir d'autant plus haut la bannière de ses valeurs et de ses buts : démocratie libérale, institutions internationales, lutte contre le changement climatique.»